Un récital qui fera date à Mers-les-Bains
A l’occasion du vernissage de l’exposition consacrée à ses parents, Marthe Hamue et Gérald Collot à la médiathèque de Mers-les-Bains, Jean-Pierre Collot, pianiste international, a donné un récital qui restera dans les mémoires.
D’ici ce dimanche 18 septembre 2022, date de clôture de l’exposition consacrée à Marthe Hamue et à Gérald Collot à la médiathèque de Mers-les-Bains, il reste quelques jours pour découvrir cette exposition très souhaitée par Xavier Debeaurain. Une exposition qui a été marquée lors de son vernissage par un hommage au piano donné par le fils des deux artistes exposés, le pianiste international Jean-Pierre Collot. Et cet hommage s’est traduit par un récital d’un peu plus d’une heure de la part de ce concertiste habitué aux grandes scènes internationales, au répertoire contemporain, et qui a été ou est dirigé en tant que soliste par de très grands chefs d’orchestre, à l’instar de Pierre Boulez, Vladimir Jurowski, Kent Nagano, Emilio Pomarico (lauréat du Grand Prix du Disque en 1998 pour son enregistrement de l’intégrale de Jean Barraqué), Michael Wendeberg et bien d’autres encore.
Le récital fut exceptionnel en raison du lieu, la médiathèque de Mers-les-Bains, mais aussi pour sa qualité, tant au niveau de la prestation du pianiste que du programme proposé. Exceptionnel car cet hommage fut un vrai récital. J’entends par là, que ce ne fut pas juste quelques minutes proposées au public. Non, le concert – gratuit pour les participants au vernissage – était digne d’un passage sur les très nombreuses scènes internationales où JeanPierre Collot à l’habitude de se produire : Europe, Japon, Russie, Chine, Etats-Unis. Les mélomanes présents ont apprécié.
Habitué à donner des programmes où le contemporain est très présent, avec en miroir, ses albums récompensés par de nombreux prix, il joue Schoenberg, Stockhausen, Dufourt, Barraqué, etc.
Mais à Mers, Jean-Pierre Collot avait articulé son récital autour Claude Debussy, Hector Berlioz, Franz Liszt, Hughes Dufourt. Et, les spectateurs, dont le compositeur russe Valéry Arzoumanov qui réside à Eu, ont pu noter un jeu pianistique marqué par des contrastes, allant à de très beaux et sensibles pianissimi à d’extrêmes forte, puissants, voire violents, avec cette sécheresse d’attaque pour faire surgir un timbre percussif, quasi métallique dans sa frappe. Pour marquer un territoire sonore, spectral, notamment sur Hugues Dufourt avec « Meeresstille« , n’hésitant pas à jouer avec de longues résonances dans l’extrême grave, là où le spectre décline ses harmoniques… Et ce, dans un silence propice à la concentration.
Enfin, et c’est un autre aspect du caractère exceptionnel de ce récital, ce fut la présentation de son programme créé et donné en hommage à ses parents. Car dans ce préambule et au-delà de l’habituelle « bio » des compositeurs qui seront joués, Jean-Pierre Collot a évoqué le lien très fort que pouvait avoir son père Gérald Collot avec la musique. Toutes les musiques. Il a souligné, explicité, les liens entre composition musicale et composition picturale. Un propos qui m’a interpellé. M’apportant des informations que je ne connaissais pas. Je pense notamment à ses remarques sur les titres ou plutôt absence de titres, cette mise en parenthèses de Debussy dans les Livres I et II. Et cette analyse personnelle, ces liens entre musique et peinture, cette réflexion sur les formes, m’ont passionné. Au point que j’ai tenu à les retranscrire dans leur caractère oral, sans les réécrire. Je me dis que les amateurs qui aiment autant la musique, la peinture, les sculptures, pourraient-être intéressés par ce regard musical sur les formes, sur leurs contrepoints visuels.
Réflexion sur le timbre
Jean-Pierre Collot : « Quelques mots sur le choix des pièces de ce soir. qui sont un peu éloignées de mon répertoire habituel, quoique, il y a très clairement une inspiration de l’enfance – je crois que cela a été très bien évoqué par ma soeur Emmanuelle – une enfance très inspirante, très, très riche. Et « Children’s Corner » de Debussy fait référence à ceci, de même que « Weihnachtsbaum« , le cycle totalement expérimental de de Franz Liszt qu’il a écrit à la fin de sa vie.
« Pourquoi Debussy de façon générale ? D’abord, il était évident par rapport à l’oeuvre de mes deux parents que Debussy devait-être présent. Car comme souvent les compositeurs français comme Debussy en tout cas, et Messiaen, puis beaucoup d’autres, Ravel également – quoiqu’une toute autre façon – c’est une musique qui parle des éléments, qui parle de l’air, qui parle de l’eau, qui parle du vent, et c’est une musique qui sous ses dehors pas encore complètement abstraits est en fait une musique totalement expérimentale et totalement abstraite. Aussi abstraite qu’une oeuvre de Jean Barraqué. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si des gens comme Pierre Boulez, Barraqué, ont énormément appris de Debussy.
Mon approche à moi de Debussy, c’est quand on ouvre une porte, on ouvre sur un infini. Avec Debussy, on n’a jamais fini. Ca m’a mené à une réflexion sur le timbre, qui touche aussi la peinture et qui est très importante pour moi? Cela a pris le chemin d’une expérience pratique mais aussi d’une recherche théorique sur les rapports entre le timbre et la couleur et ensuite sur la représentation de l’espace en musique. Et en particulier de l’espace intérieur.
Qu’est-ce un pianissimo pour un pianiste ? qu’est-ce qu’un piano ? Comment on se le représente ? Et de quelle façon cela structure l’interprétation ? Et quand je dis structurer l’interprétation, cela est bien plus vaste que ça, en fait. C’est comme si chaque nuance était un espace qui s’ouvre. Cela a conduit au projet « Barraqué« . C’est d’ailleurs pour ça que j’ai une fascination pour Jean Barraqué parce que sa sonate est une oeuvre écrite par un tout jeune homme, qui avait 24 ans quand la sonate a été achevée et ensuite il n’a plus rien écrit pour le piano solo. Et on trouve des expériences sur des nuances dans les nuances. Et cela est extraordinaire !
Comme je parlais d’espace, pour une nuance, vous trouvez des espaces qui s’ouvrent dans un espace, dans une autre dimension. L’interprète doit trouver une solution pour exprimer ça. C’est pour ça que je l’ai appelé « Espaces Imaginaires« , c’est-à-dire, le titre du CD consacré à Barraqué. Mais en fait, tout ça, on l’a dans Debussy déjà, comme on l’a chez Olivier Messiaen et on l’a aussi dans Liszt, le Liszt expérimental.
Le rapport au titre
Il y a aussi une autre chose en rapport avec les tableaux, les objets de l’exposition que vous voyez autour de vous, c’est le rapport au titre. Dans le prélude, comme dans le second (Livre I et II de Debussy, ndlr) vous n’avez pas de titre au-dessus de chaque morceau. Vous avez un titre comme une proposition entre parenthèse après trois points, C’est à dire que le premier Prélude ne s’appelle pas, vous n’avez pas en exergue au-dessus des notes « danseuse de Delphes« , vous avez la musique et à la fin vous avez entre parenthèses trois points, danseuse de Delphes, fermer la parenthèse. C’est valable pour tous les Préludes de Debussy. Tous sont écrits comme ça : parenthèses, trois points. C’est vraiment une proposition. Debussy ne voulait rien imposer.
« Le Prélude est l’avant propos éternel d’un propos qui n’adviendra jamais »
D’ailleurs, j’ai hésité aussi parce que pour Children’s Corner, je préfère que vous ne lisiez pas les titres les uns après les autres. Car Children’s Corner, pour moi, ça parle ce que j’ai évoqué, ça parle d’eau, d’espace, d’air, de fluide, de vent.. Et en fait, c’est un véritable laboratoire de timbres, un laboratoire musical. Et donc, évidemment, le rapport à la peinture, il est là. Vous avez des titres sous chaque tableau, ces titres, je vous invite à les lire après. Ce ne sont jamais des pléonasmes, et quelques fois ils sont très éclairants mais je crois qu’une oeuvre comme les Préludes de Debussy se vit et s’expérimente en direct.
Pour finir avec Debussy, il y a une très belle expression de Vladimir Jankelevitch qui va un petit peu dans ce sens là aussi. Pour lui, le prélude, en général – et c’est une très belle formulation – « Le Prélude est l’avant propos éternel d’un propos qui n’adviendra jamais« . C’est comme une invitation à aller quelque part sans jamais y conduire. Même chose pour les tableaux.
La présence de Berlioz maintenants était évidente, pour nous enfants, moi en particulier. mes deux parents peignaient en écoutant de la musique, pas toujours, bien évidemment. J’ai toujours entendu, en tout cas souvent de la musique, et toutes sortes de musique dans l’atelier de mes parents. Chez les deux on trouve des traces de musique, chez mon père en particulier, c’est très, très fort.
Il y a toute une séries d’oeuvres qui sont assez bien représentées ici et qui font références à des oeuvres musicales ou à des formes musicales. Mon père, en effet, a hésité entre une carrière de peintre ou de compositeur.
Génération Boulez, Stockhausen
Il y avait chez lui tous les livres, il est de la même génération que Boulez et Stockhausen – il est né exactement deux ans après Boulez, un an avant Stockhausen – et il y avait chez lui tous les ouvrages d’initiation à la musique dodécaphonique que l’on pouvait se procurer à l’époque (NDLR : vraisemblablement l’incontournable livre de René Leibowitz « Introduction à la musique de douze sons » et je suppose des textes et ouvrages d’Arnold Schoenberg).
En tout cas, ce n’était pas spécialement la musique moderne, Messiaen était très important, il y a beaucoup d’oeuvres en hommage à Messiaen et en particulier à l’oeuvre d’orgue de Messiaen, dont un grand format qui s’appelle « Les corps glorieux« .
Et un autre compositeur très important était Berlioz. Pourquoi Berlioz ?
On le devine dans des couleurs fauves, dans des couleurs, des timbres très, très affirmés, le côté cuivré, le côté extrêmement coloré de la musique de Berlioz, et surtout je crois aussi d’un point de vue structurel. Le côté totalement imprévisible de Berlioz le fascinait complètement.
C’est-à-dire, on entend une mesure de Berlioz, et contrairement à d’autres compositeurs magnifiques aussi, on ne peut jamais prévoir ce qu’on va entendre dans la mesure suivante. Berlioz devait-être dans le programme et j’ai choisi une petite transcription de Franz Liszt et qui est très intéressante car on y trouve une problématique à la Barraqué, de nuances dans la nuance…
Disons que vous avez un immense mouvement qui s’appelle « La marche des pèlerins« , c’est extrait de Harold en Italie, la symphonie écrite en 1834 pour Alto et Orchestre et vous avez cette Marche des pèlerins qui sont des gens qui marmonnent des prières, vous les entendez et vous les voyez de loin, ils passent devant vous et ils disparaissent, le tout ponctué par des borborygmes, des murmures, des prières à voix basse, des cloches… C’est quelque chose de totalement surréaliste.
Contrepoint
Vous avez entendu du premier livre de Debussy « Des pas sur la neige« , d’ailleurs, mon père a consacré une toile, format carré, on a trouvé ça dans les ateliers, deux mêmes formats, un qui s’appelle « des pas sous la neige« , l’autre « jardin sous la pluie« .
Et ici, dans l’exposition, vous avez un contrepoint – les contrepoints font partie de ses oeuvres inspirées par la musique mais qui sont bien plus que des transpositions en musique en peinture
Ce contrepoint là, dans les tons bleus et blancs avec des espèces de neumes qui forment une espèce de trame rythmique, pas toujours de même profondeur, et qui s’appelle « ce qu’a vu le vent d’Ouest« . Il y a beaucoup d’oeuvres très souvent très subtiles. Il y en a une, par exemple, dans les blancs et jaunes avec de très subtiles variations et qui s’appelle « dans une brume doucement sonore, hommage à Debussy« , et c’est d’ailleurs l’indication qui est en exergue du prélude de « La cathédrale engloutie » que je vais jouer en dernier.
Amplification des « Pas sur la neige«
(…) Un compositeur qui m’est très proche et auquel j’ai consacré un CD, Hugues Dufourt, compositeur spectral, et qui a consacré un cycle d’oeuvres pour piano d’après des lieder de Schubert. Vous avez « Rastlose Liebe« , « Meeresstille« , « Erlkönig » que j’ai rajouté sur le CD pour des raisons historiques, car après le roi des Aulnes, Erkönig est le fondement du lied et il est très important pour Hugues Dufourt qui est également un philosophe. Mais un philosophe dont la sensibilité est absolument surprenante, une sensibilité à fleur de peau, en particulier dans ce « Meeresstille » qui est une espèce de grande amplification « des pas sur la neige« .
Et ce qui n’est pas sans rapport avec certaines oeuvres qui sont présentées ici, soit les tentures, soit les séquentiels ou les claires-voies, les séquentiels qui pendent, vous avez trois petits objets bleu nuit, noir et blanc, qui pendent juste là dans le couloir…
En tout cas cette oeuvre de Dufourt, c’est une oeuvre qui est pour moi magique d’un côté sonore. Elle peut aussi s’apprécier les yeux fermés parce que c’est une invitation au voyage. »
Je reprends la main. Je sais, ce n’est pas très journalistique de laisser les paroles brutes ainsi, et qui plus est dans un tel long propos. Mais cette réflexion m’intéresse, je la souhaitais telle quelle, sans la pression d’un rédacteur en chef qui, très vraisemblablement, m’aurait gourmandé sinon blâmé.
Didier DEBRIL
1 : Lire le résumé du parcours de Jean-Pierre Collot que je lui avais consacré dans l’annonce de son récital.